Marine MENY – Juriste en propriété intellectuelle – INLEX IP EXPERTISE
La Cour de justice de l’Union européenne a rendu le 9 septembre dernier un arrêt important sur la question de la protection de l’Appellation d’Origine Protégée (AOP) Champagne et de la notion d’évocation dans le cadre d’une affaire (C-783/19) opposant une chaîne de bars à tapas espagnole sous enseigne «Champanillo» («petit champagne») et le Comité Interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC).
Dans cette affaire, une société de droit espagnol exploite des bars à tapas sous l’enseigne CHAMPANILLO pour désigner et promouvoir ses établissements. Dans ses publicités, en particulier sur les réseaux sociaux, elle utilise un support graphique représentant deux verres qui s’entrechoquent :
La question est ici de savoir si l’AOP Champagne peut être opposée à des agissements visant des services de restauration.
Dans sa décision, la CJUE répond par l’affirmative et précise que l’étendue de la protection accordée par une AOP ne se limite pas à des produits, elle s’étend aussi à des services.
Cette décision est salutaire bien que non inédite en France et au niveau européen car elle confirme l’application des dispositions du Règlement 1308/20131 en cas d’évocation d’une AOP pour des services.
***
Ce qu’il faut retenir de cette décision :
- L’AOP est protégée vis-à-vis de marques et plus généralement de signes utilisés dans la vie des affaires (marques, dénomination sociale, enseigne etc) ;
- L’AOP est protégée contre des produits et/ou services similaires ou différents ;
- En l’absence de reprise servile de l’AOP, il faut caractériser l’évocation c’est à dire le déclenchement d’une association d’idées entre la dénomination litigieuse, et le produit couvert par l’AOP ;
- Cette appréciation de l’évocation devra être effectuée par le juge national sur la base d’indices fixés par la Cour :
- Incorporation partielle de l’AOP,
- Parenté phonétique et visuelle entre les deux dénominations et similitude en résultant,
- En l’absence de ces éléments : proximité conceptuelle entre l’AOP et la dénomination en cause ou similitude entre les produits couverts par cette même AOP et les produits ou services couverts par cette même dénomination ;
- La Cour rappelle que cette protection des AOP est spécifique et autonome et « n’est donc pas subordonnée à la constatation de l’existence d’un acte de concurrence déloyale ».
***
Portée de la décision
- Une tendance à un élargissement considérable de la protection des appellations d’origine en Europe
Il est désormais très probable qu’à partir du moment où le signe contesté intègre une partie de l’appellation Champagne (ici, le radical “CHAMP-”), l’évocation de l’AOP est constituée car il déclenche dans l’esprit du consommateur l’image du produit bénéficiant de l’appellation protégée.
- Un durcissement du régime des marques v. surprotection des appellations d’origine
Même si la protection qui est conférée aux marques notoires ou renommées est “renforcée”, il est certain que l’AOP jouit d’une protection plus efficace que la marque notoire : éclatement du principe de spécialité et similitude conceptuelle suffisante pour caractériser l’évocation, entre autres.
- L’évocation de l’AOP à quelque titre que ce soit (marque, dénomination sociale, enseigne) pour des produits ou services similaires ou différent est un pari perdu d’avance
Il convient donc d’être particulièrement vigilant au choix de ses éléments d’identification (marque / dénomination sociale / nom commercial / nom de domaine) et de publicité, afin d’éviter toute évocation, même subtile, lorsqu’une AOP est partiellement intégrée et ce, même en présence de produits ou services différents.
Ceci est d’autant plus vrai que l’AOP en question bénéficierait d’une renommée extraordinaire comme l’AOP Champagne.
Reste à suivre la mise en œuvre de la jurisprudence européenne par le juge espagnol …
1 Règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et notamment l’article 103 2) a) et b) dudit Règlement
N.D.L.R : Si la notion d’évocation d’AOP vous intéresse et que vous souhaitez en savoir plus, ne manquez pas l’article à paraître sur ce sujet en juin 2022 dans le N°15 de la RFPI !
Commentaires récents