Carla Bragado Herrero de Egaña – Docteure en droit privé, Chercheuse associée au CIPI de l’Universidad Autónoma de Madrid (UAM)
Ref. : Sentencia del Tribunal Supremo (STS), Sala Primera, n°608/2021 du 16 septembre 2021
Jadis porté autour de la tête par les paysans d’Aragon pendant la moisson, le foulard dénommé « cachirulo », composé d’un motif à carreaux rouge et noir ou violet et noir, est un symbole majeur du folklore de cette région. Il est notamment couramment porté noué autour de la tête ou du cou pendant les traditionnelles festivités du Pilar de Saragosse.
Un commerçant espagnol avait procédé à l’enregistrement auprès de l’Office Espagnol des Brevets et des Marques (OEPM) d’un modèle de couvre-cou en forme de tube élastique reprenant ce motif dans ces deux versions chromatiques. Commercialisant depuis 1995 des produits similaires, la société Original Buff S.A. demanda la nullité des modèles de son concurrent.
La demande de Buff fût successivement rejetée en première et deuxième instance. Pour le juge de première instance, la forme tubulaire du cache-cou conférait aux modèles attaqués une nouvelle combinaison de couleurs, de forme et de texture, les différenciant du cachirulo traditionnel. Il constatait également l’existence de caractéristiques différentes entre ces modèles et ceux commercialisés par Buff.
La Cour d’appel, quant à elle, a considéré que la juxtaposition du motif typique du cachirulo à une forme déjà connue (le cache-cou), complétée par des éléments différenciateurs – tels que la modification de la taille des carreaux, leur disposition oblique et non horizontale, et le fait que le couvre-cou n’a pas besoin d’être noué – étaient susceptibles de produire chez l’utilisateur averti une impression globale différente avec les modèles de Buff et les foulards traditionnels.
Dans ce contexte, Original Buff présenta un recours devant la Cour Suprême, invoquant un moyen unique tiré de la violation de l’article 7 de la Loi espagnole n° 20/2003 sur la protection juridique du dessin industriel (caractère individuel). Plus concrètement, Buff reprochait à la Cour d’appel de ne pas avoir correctement appliqué le critère jurisprudentiel selon lequel l’impression globale doit être appréciée au regard du mode d’utilisation effectif du produit représenté par le dessin ou modèle. Aussi, pourBuff, la comparaison entre le cachirulo traditionnel et les modèles contestés en position d’usage, c’est-à-dire effectivement portés, ne donnait pas une impression globale différente.
Suivant la position de la demanderesse, la Cour Suprême juge que le dessin industriel n’a pas vocation à protéger l’idée d’appliquer un motif déjà connu à un autre type de vêtement, mais le dessin ou modèle en soi, conçu comme une sorte d’innovation formelle de l’apparence d’un produit ou de son ornement. Partant, et s’appuyant sur l’arrêt de la CJUE du 21 septembre 2017 (C-361/15 et C-405/15P, Easy Sanitary Solutions), elle conclut que le simple changement de produit n’est pas nécessairement de nature à conférer un caractère individuel à un motif très connu, dès lors qu’il ne provoque pas une impression globale différente chez l’utilisateur averti. Tel était le cas en l’espèce, puisque tout en tenant compte de la différence d’usage entre un foulard et un cache-cou, la Cour estime que la reprise du motif traditionnel du cachirulo ne conduit pas à une impression globale différente chez l’utilisateur averti.
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